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Qu’est ce que le risque de requalification ?

Mis à jour le 28 November 2023
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Depuis 2008 le nombre d’indépendants en France a augmenté de façon fulgurante. La cause de ce phénomène trouve sa source dans la réforme relative à la création du statut d’auto-entrepreneur par la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008.

Cette évolution législative a participé à l’augmentation du nombre de contrats de prestation notamment pour l’externalisation de prestations intellectuelles ; et a entraîné parallèlement une dérive : le salariat déguisé.

Qu’est ce que le risque de requalification ?

Le contexte dans lequel se déroule un contrat de prestation de services peut en effet, révéler un lien hiérarchique entre prestataire et donneur d’ordre. Or, ce lien s’oppose radicalement à l’indépendance de l’auto-entrepreneur.

Un contrat de prestation peut donc cacher une toute autre réalité remettant en cause le statut des auto-entrepreneurs.

La récente jurisprudence a montré que le sujet était toujours d’actualité brûlante et le juge n’hésite pas à sanctionner sévèrement les employeurs liés aux “ faux indépendants ” par la requalification du contrat de prestation en contrat de travail.

Voyons dans cet article les contours juridiques de la notion de requalification du contrat de prestation en contrat de travail afin de mieux comprendre cette sanction.

Que dit la loi sur le risque de requalification ?

Une présomption de non  – salariat dans le Code du travail

Le Code du travail prévoit une présomption simple de non – salariat concernant l’auto-entrepreneur qui est inscrit à l’un des registres permettant l’immatriculation d’une activité (registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux, etc).

“Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :

  1. Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d’allocations familiales ;
  2. Les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes (…) ;
  3. Les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés ; (article L8221-6 Code du travail).

En résumé, si l’auto-entrepreneur est régulièrement enregistré cela signifie qu’il n’est pas lié par un contrat de travail à un donneur d’ordre.

Rappelons qu’une présomption simple est un ensemble de faits constatés qui peut être renversée par la preuve contraire.

Autrement dit, les faits constatés peuvent être insuffisants à prouver une situation si des faits contraires sont rapportés. La présomption de non-salariat peut donc être annulée par des faits démontrant des conditions d’exercice similaire au salariat.

C’est ce que rappelle la suite du même article :

“ L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes (…) fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci.”

Plus simplement, la validité d’un contrat de prestation de services ne peut pas découler uniquement de la présomption de non – salariat décrite dans le Code du travail. En effet, ce n’est pas parce que l’auto-entrepreneur remplit toutes les conditions d’inscription et d’immatriculation de son activité qu’il est à l’abri du salariat déguisé dans le cadre de ses missions.

Les réelles conditions d’exercice de l’activité l’emportent toujours sur la présomption de non – salariat aux yeux du juge, toutefois, l’existence d’un contrat de travail doit être démontrée.

Une absence de définition du contrat de travail dans le Code du travail

Le Code du travail ne donne pas de définition du contrat de travail. C’est la jurisprudence qui précise les conditions de ce contrat.

Aussi, les éléments caractéristiques du contrat de travail sont :

  • le lien de subordination
  • la prestation de travail
  • la rémunération sous forme de salaire.

Le lien de subordination demeure central c’est pourquoi la jurisprudence l’a rappelé à plusieurs reprises (Cass soc 13 novembre 1996 N° de pourvoi : 94-13187).

le critère déterminant de reconnaissance d’un contrat de travail est le lien de subordination caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité de l’employeur qui a le pouvoir de donner des ordres, des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné “.

Le lien de subordination existe dès lors que l’autorité du donneur d’ordre s’exprime par des directives ; des contrôles ; des sanctions adressés au prestataire en dépit de l’indépendance de ce dernier.

C’est donc l’apparition d’un lien de subordination qui révèle l’existence d’un contrat de travail et qui renverse très facilement la présomption de non – salariat évoquée plus haut.

C’est précisément dans cette hypothèse que  la requalification du contrat de travail peut s’appliquer.

Que dit la jurisprudence sur le risque de requalification ?

La requalification du contrat de prestation en contrat de travail est une sanction que le juge appliquera s’il constate que la dénomination donnée au contrat par les parties est faussée.

Pour cela, le juge examine les conditions réelles d’exercice de l’activité (Cass. soc., 18 janvier 2012, n° 10-26325 ; CA Paris, 6 mars 2014, n° 13/08784.)

Le plus souvent, le juge portera son attention sur la durée des relations longues, qui peuvent dissimuler un contrat de travail à durée indéterminée d’autant plus si l’auto-entrepreneur à un nombre réduit de clients.

En outre, tous les indices révélant une absence d’autonomie dans l’exercice des missions de l’auto-entrepreneur constituent un indice de l’existence d’un contrat de travail.

Par ailleurs, les situations fréquentes dans lesquelles un donneur d’ordre supervise l’avancée des missions d’un auto-entrepreneur comme le ferait un supérieur hiérarchique, constitue un indice en faveur de l’existence d’un contrat de travail.

A titre d’exemple, l’ancien salarié devenu auto-entrepreneur et proposant ses services à son ancien employeur, ne peut pas exécuter ses missions aux mêmes conditions que lorsqu’il était salarié de cette entreprise sous peine de voir requalifier son contrat de prestation en contrat de travail (Cass, soc jeudi 22 mars 2018 N° de pourvoi: 16-28641).

De même, les juges considèrent que le prestataire proposant des services de secrétariat en tant qu’auto-entrepreneur à un client unique (cabinet comptable) dont il possède les clefs de l’entreprise dans laquelle il dispose d’un bureau personnel, révèle l’existence d’un lien de subordination et donc d’un contrat de travail entre les parties (CA, Nîmes du 29 janvier 2019, n°16/05297).

Enfin, le formateur indépendant qui occupe un poste d’enseignant permanent dans une école de formation est assimilé à un salarié étant donné la longueur de sa mission comparable à la durée indéterminée d’un contrat de travail (Cass, civ 27 juillet 2016 N° de pourvoi : 15-16110).

La requalification du contrat de prestation en contrat de travail est une sanction sévère car elle génère automatiquement d’autres conséquences pécuniaires pour les parties. Ainsi, un contrat de prestation requalifié en contrat de travail suppose un rappel de l’ensemble des salaires qui auraient dû être perçus depuis le début du contrat ainsi que les congés payés dus.

De même, un contrat de travail qui serait rompu suite à la requalification entraîne l’application des dispositions relatives au licenciement, c’est-à-dire le paiement des indemnités de licenciement ainsi que celles du préavis de licenciement et les dommages et intérêts pour licenciement injustifié.

Le Code pénal prévoit aussi des sanctions importantes telles qu’une peine d’amende pouvant aller jusqu’à 100 000 euros (quintuple pour les personnes morales), une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 10 ans et des peines complémentaires.

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