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Comment mettre l’humain au coeur de l’entreprise ? avec Bernard Bennatar
Alors que la société se caractérise par un individualisme croissant, elle souffre d’une perte de sens. Celle-ci se manifeste particulièrement dans le monde du travail, où les démissions, phénomènes de burn-out, bore-out et autres turn-over manifestent un malaise grandissant. Bien que les entreprises mettent de plus en plus l’emphase sur l’humain, elles doivent donc réfléchir à la question du sens. Elles doivent également jongler entre des impératifs de rentabilité et des problématiques d’épanouissement individuel et collectif.
Quelle est la place de l’humain dans l’entreprise ? Pour éclairer ce sujet, freelance.com a interviewé Bernard Bennatar, philosophe du travail, conférencier et consultant. Dans cette nouvelle interview Work 3.0, Bernard Bennatar nous explique comment la place de l’humain a évolué dans le travail. Il explore également les pistes pour améliorer sa prise en compte, au regard des actuelles problématiques des entreprises.
L’individu dans l’entreprise : une fin, et non plus un moyen
En tant que philosophe du travail, Bernard Bennatar accompagne une réflexion sur le sens du travail en y intégrant des dimensions humaines parfois oubliées telles que la liberté, la justice ou la vérité. « Pour Kant, l’autre doit être considéré comme une fin et non comme un moyen. C’est l’évolution qui s’est opérée dans les entreprises ces 30 dernières années. Pendant des siècles, l’homme a été au service de l’oeuvre, de la production. Puis on a décidé de protéger l’humain sur l’aspect de sa santé physique, avec par exemple la prise en compte des TMS (troubles musculo-squelettiques). On s’est ensuite occupé de sa santé mentale avec les RPS (risques psychosociaux). Avec le COVID, l’intégration des dimensions bien-être et qualité de vie s’est accélérée », explique Bernard Bennatar. Cette évolution de l’entreprise a accompagné une mutation des valeurs, des mentalités et des aspirations, en phase avec l’individualisme grandissant de nos sociétés. « Il est possible que les jeunes aient été élevés avec une grande estime d’eux-mêmes, et avec l’idée que le travail doit être épanouissant. C’est pourquoi ils refusent de se soumettre à une autorité tyrannique dans le cadre du travail, de même qu’ils refusent d’exercer un métier s’ils n’en perçoivent pas le sens », analyse le philosophe.
Humain et productivité, une équation possible
Qualité de vie au travail, santé, bien-être, équilibre vie professionnelle-vie personnelle, mais aussi valeurs et management éthique constituent des sujets sur lesquels les entreprises se positionnent pour mieux valoriser l’humain. Les Happiness Managers illustrent d’ailleurs la façon dont elles traitent le sujet, au travers du bonheur au travail. Pour Bernard Bennatar, « on aurait tendance à se moquer des Happiness Managers mais il faut s’intéresser à ce qui fait joie au travail. Pendant longtemps, on a dit que le travail devait apporter de la fierté ; ce qui est possible par le beau, ou par le sens qu’on attribue à son métier. Il est donc important d’avoir des Happiness Managers, à condition que leur mission soit axée sur le sens et non sur le confort, comme c’est parfois le cas. »
Autre problématique pour les entreprises : bien fixer le curseur pour intégrer de façon équilibrée l’objectif d’épanouissement (individuel et collectif) et celui de productivité. Selon Bernard Bennatar, « la conciliation est possible si chacun désire la qualité, la performance, la productivité. Cela suppose que les individus ne se sentent pas considérés comme des objets ou des variables d’ajustement. »
Mettre la responsabilité et le désir au centre : telle est la piste envisagée par le philosophe pour relever ce double objectif. « Cela fait un moment qu’on essaye de susciter le désir, mais peut-être pas au bon endroit : on a insisté sur le désir de protection et de confort, alors que c’est le désir d’agir qui est au coeur. » Sur le sujet de la responsabilité, les questions récentes autour de l’environnement participent, selon Bernard Bennatar, à la mise en place d’un nouveau rapport responsable à la société et d’un nouveau contrat social. « Pour bien accompagner cette évolution, on devrait peut-être réinstiller de la fraternité dans ce monde individualiste qui fait l’éloge de la liberté », conclut le philosophe.