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Caroline Ramade, Fondatrice 50intech : la parité dans la tech
Interview Caroline Ramade par Julie Huguet
Caroline Ramade, fondatrice de 50intech, une plateforme qui connecte les talents féminins avec les entreprises de la tech les plus inclusives.
Julie Huguet : L’inclusion des femmes dans la tech est un sujet qui concerne aujourd’hui toutes les entreprises. Quel a été ton constat à toi ? Qu’est ce qui t’a poussé à créer 50intech sur cette thématique ?
Caroline Ramade : En 2015, je suis rentré à la direction d’un incubateur pour femmes entrepreneurs, Willa. Et j’ai vu les chiffres. Moins de 9% d’entrepreneures femmes en France dans la tech, moins de 25% travaillant dans cette industrie avec des profils tech. Quand regarde chez les développeuses, on tombe autour de 12%. Et on a aujourd’hui un autre constat, c’est qu’une femme sur deux quitte la tech après huit ans d’expérience à cause de la discrimination.
On a donc cette économie numérique dans laquelle il n’y a pas de femmes, pas de personnes de couleur, pas de diversité. Ce sont des hommes blancs surdiplômés. On a inventé l’image du geek, qui s’est répliquée comme une traînée de poudre dans le monde entier. Cette situation n’a pas toujours été la même puisqu’avant les années 70, les femmes étaient 40% dans les écoles de programmation. Mais avec l’apparition de l’ordinateur, des start-up, le développement de la Silicon Valley, la high tech est devenue un univers très masculin.
Julie Huguet : Donc le risque pour toi, si on ne fait rien, c’est un secteur incapable de recruter et de retenir des femmes…
Caroline Ramade : Le risque aujourd’hui est majeur pour les entreprises parce que cette situation a créé un environnement de discrimination, voire de harcèlement fort. Quel secteur a encore 30% d’écart salarial dans les fonctions executives ? Et on continue de révéler chaque semaine des affaires de harcèlement sexuel, même chez Apple. C’est un enjeu majeur de réputation pour les entreprises. Cela veut dire que derrière, cela va être très difficile d’embaucher ou de retenir les talents parce qu’aujourd’hui, ni les hommes ni les femmes ne veulent aller travailler dans des entreprises réputées toxiques. C’est un enjeu majeur parce que l’on est dans une logique de pénurie et de guerre des talents, qui vont s’amplifier. Aujourd’hui, on a 49 millions d’emplois dans la tech. Ils seront190 millions d’ici 2025.
Le deuxième risque est un enjeu légal. Le Nasdaq aux Etats-Unis a défini de nouvelles règles. Vous ne pouvez plus être introduit en Bourse si vous n’avez pas au moins une personne dans votre board issue de la diversité. C’est faible comme critère, mais c’est un début. En France, cela arrive avec la loi Copé-Zimmermann et ses 40% de femmes dans les conseils d’administration, ces fameuses femmes dont on pensait qu’elles n’avaient pas la compétence et qui, magiquement, apparaissent du jour au lendemain de partir un moment, on met en place un quota. Une autre loi va arriver qui va imposer la même chose dans les comités de direction pour les entreprises de plus de 1000 salariés. Donc aujourd’hui, avec ce contexte légal, on n’a pas le choix, il faut bouger.
Julie Huguet : Comment résoudre le problème ?
Caroline Ramade : En valorisant les entreprises exemplaires. C’est l’un des objectifs de 50intech.
Au-delà de ça, je pense qu’il faut projeter des rôles modèles qui pourront inspirer des jeunes femmes. Il faut rendre ces femmes visibles dans les médias. Des femmes qui racontent positivement à quel point elles s’épanouissent dans cette vie-là, qui voient l’impact de ce qu’elles créent, leur utilité. Il faut changer l’image de ce métier, en arrêtant de le décrire comme un métier d’hommes. On a des exemples dans d’autres pays, comme la Tunisie ou le Maroc. On ne peut pas dire que ce sont des pays où les femmes sont très libérées et pourtant, elles ont une culture scientifique plus forte qu’en France : on peut être ingénieure en construction civile ou ingénieure en programmation. Même chose en Malaisie, en Russie… Les mères russes sont moins stéréotypées que les mères françaises ou les mères occidentales. Elles laissent plus leurs filles aller vers des métiers scientifiques parce que c’est un endroit où on va pouvoir s’en sortir financièrement.
Julie Huguet : Penses-tu qu’il y a un seuil minimum de femme pour être écoutées en entreprise ?
Caroline Ramade : Le vrai seuil, c’est 30%. Cela permet d’avoir le sentiment qu’il y a des représentations, des points de vue équilibrés. On peut s’exprimer, on se sent écouté. Et c’est prouvé que si on arrive déjà à le faire sur le genre, ça a un impact sur tous les autres critères de diversité comme l’orientation sexuelle, l’origine ethnique…
Julie Huguet : Avec 50intech, quelle réponse as-tu voulu apporter à ce problème de discrimination ? A quel stade de développement en es-tu ?
Caroline Ramade : Je suis pragmatique. L’idée est de sélectionner les entreprises les plus inclusives. On a mis en place un scoring d’inclusion, pour l’instant spécialisé sur le genre. Demain, on rajoutera d’autres critères de diversité. Les entreprises peuvent calculer, regarder où elles en sont. Cela montre une volonté de changement.
50intech a commencé dans un esprit communautaire, en proposant d’assister à des événements. C’était fin 2019.
En plein Covid, je me suis dit que c’était le moment de s’ouvrir aux entreprises. On a sélectionné les premiers clients, Criteo, Back Market, Daily Motion… Mais je ne peux pas les citer toutes, on a plus de soixante entreprises. Il y a une vraie prise de conscience des entreprises et on répond finalement à un besoin.
On voit aussi beaucoup d’entreprises américaines qui viennent chasser ici. On voit cela comme une opportunité. Facebook a annoncé la semaine dernière qu’il allait recruter 10 000 ingénieurs pour construire le metavers en Europe. Le remote a montré que la flexibilité au travail, ça marche. C’est un bon mouvement qui va permettre aux femmes de choisir leurs conditions de vie.
On veut vraiment être au cœur de ces problématiques et finalement, de permettre aux entreprises d’être meilleures par rapport à ces attentes.
Julie Huguet : Dans un monde idéal, dans un an, quels sont les changements qui auront eu lieu pour toi ?
Caroline Ramade : On aura plus de 1000 entreprises qui nous auront rejointes et j’espère 100 000 femmes. Cela demandera qu’on ait réussi notre levée de fonds. On va rechercher 2 millions pour ouvrir Londres, Berlin en même temps. La Pologne aussi pour l’acquisition est un très bon pays, notamment parce qu’ils ont eu des politiques de formation dans certaines villes assez hallucinantes. Pour avoir zéro chômage, ils ont mis en place des programmes d’éducation au numérique, où tous ceux qui n’avaient pas de job étaient formés en masse.
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