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Interview de Françoise Odolant, responsable des chartes et labels achat responsable
Interview de Françoise Odolant, responsable des chartes et labels achats responsables à la Médiations des Entreprises.
Julie Huguet : Françoise Odolant, tu as eu une longue expérience au sein de Directions Achats et depuis onze ans, tu as pris la position d’accompagner le changement en étant responsable des chartes et labels achats responsables à la Médiations des Entreprises. Quel a été ton déclic, pour choisir de passer du côté de l’accompagnement ?
Françoise Odolant : Je crois que le déclic a été pendant mes dernières responsabilités de directrice achats du groupe Caisse d’épargne sur le dossier du recours aux entreprises adaptées. On avait une direction RSE très sincère mais pas très communicante, plutôt faiseuse, et aux achats, on avait pensé qu’on pouvait les aider. Donc j’ai décrété une politique en faveur du recours à ces entreprises du handicap. Et puis mes équipes sont venus me voir quelques mois plus tard en disant « Ce ne sont que des petites structures, très locales. Elles ne peuvent pas répondre à nos appels d’offres nationaux. Donc, en fait, Françoise, on ne peut pas les aider. »
Cela a été un moment de vérité pour moi.
En tant que directrice achats, j’ai une vision, une volonté, et puis mes équipes qui sont opérationnelles me disent qu’on ne peut pas ? Est-ce que j’ai fait mon job de directrice achats ? En fait, ce qui compte, ce n’est pas de dire, c’est de faire.
Et à ce moment-là, on a trouvé une solution. Cela s’est concrétisé par l’association « Pas à pas » en travaillant avec plusieurs grands donneurs d’ordres qui n’arrivaient pas non plus à mettre en place ce type de politique.
Pour avoir une capacité d’influence, il faut être rejoint par d’autres. Si on partage les mêmes valeurs, si on est à peu près au même niveau de maturité, on va pouvoir faire des choses ensemble, c’est ça la genèse de cette idée.
Julie Huguet : Finalement, si on continue à être dans le déni sans intégrer cette responsabilité dans sa fonction d’acheteurs, c’est quoi le danger ?
Françoise Odolant : On a vu quand on a lancé les travaux sur la charte, fin 2009, qu’il y avait vraiment une logique vitale pour notre économie, sinon des entreprises allaient fermer : « Vous, les acheteurs, vous dites quoi quand vous raisonnez au moins disant ? Vous comparez les critères environnementaux sans regarder si c’est fabriqué en Chine ou à quinze km de votre usine. »
Avec cette logique, on allait détruire le tissu économique des PME. Sauf que 95% de l’économie est faite de PME et PMI.
Et puis, l’autre signal d’alarme, ça a été l’accident du Rana Plaza en 2013 : 1 000 morts dans l’effondrement d’une usine au Bangladesh. Nous qui sommes assez fiers en France de notre modèle social, est-ce que cela veut dire que pour être compétitif dans la mondialisation, toutes nos usines devront être des Rana Plaza en puissance ? La France s’est élevée contre ça. C’est comme cela qu’on a lancé les travaux de la norme internationale ISO 2400 sur les achats responsables.
Julie Huguet : D’ailleurs, en off, tu me disais juste avant que c’était quelque chose d’assez unique d’avoir un État qui soit acteur de ce changement.
Françoise Odolant : Oui, on ne l’a vu nulle part ailleurs et il n’y a pas de clivage politique. Ce n’est ni de droite ni de gauche. Depuis 2010, il y a une continuité. Cela tombe bien parce que ce sont des changements culturels sur des temps longs.
Un paradigme était installé partout : « Je ne paye pas mes factures à l’heure, mais c’est pas grave. Je fais des contrats déséquilibrés, mais c’est pas grave. » Plus personne n’avait de responsabilité individuelle. Nous, on a réveillé un peu l’attention. On a proposé un modèle alternatif, collaboratif et respectueux.
Nous avons créé un partenariat entre la communauté économique représentée par le Conseil National des Achats, donc la profession achats et l’Etat via le ministère de l’Economie.
Julie Huguet : Est-ce que tu peux nous en dire plus sur la norme sur le label, et comment vous influencez les entreprises pour qu’elles soient plus responsables ?
Françoise Odolant : On parle d’un parcours national des achats responsables dans lequel trouvent place les deux dispositifs de la charte et du label. On propose même en amont, un auto-diagnostic.
Prendre des engagements au niveau de la direction générale en adhérant à la Charte devient un engagement public. Vous mettez forcément en place un certain nombre de choses à ce moment-là. Et puis, en proposant un parcours, on espère les attirer vers un évaluateur tiers externe et un comité d’attribution du label, reconnu par les pouvoirs publics.
Julie Huguet : Pour compléter ce que tu viens nous dire, combien d’entreprises aujourd’hui ont signé la charte où ont obtenu le label ?
Françoise Odolant : On est aujourd’hui à environ 2500 organisations adhérentes, entreprises et acheteurs dans le secteur public. On avait eu un gros engagement du Centre des jeunes dirigeants aussi, qui avait apporté 1000 signataires.
On a une trentaine d’entreprises du CAC 40. Je regrette toujours celles qui ne sont pas là.
Cela représente un portefeuille achats de100 milliards d’euros d’achats.
Et j’ai vu une nette accélération depuis le début de l’année 2021.
J’avais cru en 2020 que les gens auraient d’autres priorités que les labels. Eh bien pas du tout. On a continué de voir arriver des dossiers, de nouvelles candidatures. Et quand on faisait des enquêtes sur « comment vous vous en sortez avec la crise ? », la réponse était souvent « On a encore plus besoin de mieux tisser des relations avec les fournisseurs. »
Donc c’est cela aussi : un outil de sortie de crise ou de relance. On a un fort soutien politique cette année avec la Secrétaire d’État à L’Economie sociale, solidaire et responsable, Mme Olivia Grégoire, qui nous a demandé comment renforcer l’impact du label. On lui a remis un rapport avec 39 propositions au mois de mars. La charte rénovée qu’on annonçait en octobre dans le prolongement de la Charte historique de 2010, provient de ses propositions.
Julie Huguet : Si tu devais rêver à un changement vraiment profond, ça donnerait quoi?
Françoise Odolant : Il y a la présidence française de l’Union européenne pendant six mois. Plus la communauté économique française sera unie et donc, évidemment, on regarde le CAC 40 en premier, plus la France pourra porter ce leadership
Et puis, à l’autre bout du spectre, quand on a ouvert le label aux TPE PME, je me suis dit « C’est formidable ce qu’on fait parce qu’ils n’ont presque jamais embauché un acheteur en tant que tel, et pourtant, ils font des achats. Avec tout ce qu’on met à leur disposition dans une logique de service public, gratuit et transparent, ils peuvent y accéder quand ils veulent faire des achats responsables. Quand je vois les dossiers des PME qui accèdent au label, c’est épatant. Elles tiennent la route et du coup, elles sont plus fortes que d’autres.