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Interview de Cédric O, Secrétaire d’Etat au Numérique
Interview de Cédric O, Secrétaire d’Etat au Numérique
Julie Huguet : Un interview Change Makers exceptionnel puisque nous avons la chance aujourd’hui d’être à Bercy, au ministère de l’Economie et des Finances en compagnie de Cédric O, Secrétaire d’Etat au Numérique. Cédric O, est-ce que tu peux nous dire avec tes mots ce qu’est une licorne ?
Cédric O : C’est intéressant parce que tout le monde parle de licornes, mais personne n’en a la même définition. Et d’ailleurs, on voit dans les classements de licornes, ces définitions un peu différentes aboutissent à des nombres différents.
Ce sur quoi tout le monde est d’accord, c’est que ce sont des entreprises qui sont possédées par des capitaux privés, qui ne sont pas en Bourse et qui valent plus d’un milliard d’euros. Et après, nous, nous considérons que les entreprises doivent être nées après l’an 2000 pour pouvoir être considérées comme licorne.
Julie Huguet : Quel est l’enjeu, finalement, pour un pays comme la France d’avoir des licornes ? Et à quoi s’expose-t-on si l’on n’en a pas ?
Cédric O : Il faut prendre deux pas de recul pour comprendre pourquoi c’est important. Si on regarde par exemple les dix plus grosses entreprises internationales dans le monde, il y en a huit qui font partie de l’économie dite du numérique ou de la technologie. Plus globalement, il y en a six qui n’existaient pas en 2000. C’est pour moi l’incarnation du rôle que joue l’innovation dans notre économie. Le monde, l’économie, notre vie quotidienne aussi sont dominés par des entreprises relativement jeunes. On le voit à travers les outils que l’on utilise comme les boîtes mails, les téléphones portables, les réseaux sociaux.
Il y en a entre 200 et 300 licornes aux Etats-Unis. Il y a à peu près le même chiffre en Chine et l’Europe est en train d’arriver à ce même niveau.
C’est un bon indicateur du niveau d’innovation de l’économie, de la capacité à faire émerger de nouvelles entreprises. Dans le fond, plus on a de licornes, plus on a des chances dans l’avenir d’être parmi les économies les plus compétitives et donc d’avoir de la création d’emplois.
A l’inverse, si on n’en a pas, on a des soucis à se faire à long terme parce que cela veut dire que notre économie est peu innovante. J’ai l’habitude de citer cet autre chiffre : en moyenne, les entreprises du CAC 40 ont aujourd’hui plus de 110 ans. Ce qui veut dire que notre économie a été bâtie par des innovateurs au XIXᵉ siècle, au XXᵉ siècle, et que l’on n’a pas trop réussi depuis lors à renouveler ce tissu entrepreneurial. C’est pour cela qu’on a besoin de licornes aujourd’hui.
Julie Huguet : D’autant plus que si l’on suit un peu l’actualité, on a vu ces derniers mois émerger énormément de licornes en France. Quelle a été la stratégie de l’Etat pour arriver à rajeunir cet écosystème ?
Cedric O : Derrière l’attention particulière qui a été donnée à l’innovation depuis 2017, il y a une vision de l’économie, en tout cas une conception de ce qui se passe et des dynamiques. Et je crois que ça vient de la discussion qu’on avait juste avant. De se dire que, dans le fond, l’économie européenne est en perte de vitesse parce que toutes les très grandes entreprises qui ont fait la réussite et la prospérité de l’Union Européenne n’ont pas vu de successeurs émerger.
Je disais tout à l’heure que sur les dix plus grandes entreprises mondiales, six n’existaient pas il y a 25 ans et aucune n’est européenne. C’est l’indicateur d’une forme de déclassement en cours. Et donc, nous avions la volonté avec le président, avec Bruno Le Maire, avec les premiers ministres successifs, de faire en sorte de créer l’écosystème, de créer les conditions de réémergence de nouveaux champions. Et on a en France des chercheurs, des ingénieurs, des entrepreneurs extraordinaires. C’est une qualité historique parce qu’il fut un temps où la France a été le plus grand pays d’innovation du monde au XIXᵉ siècle et au début du XXᵉ, avec les Pierre et Marie Curie, les frères Lumière, Louis Pasteur, etc. D’ailleurs, tout cela a construit le monde tel que nous le connaissons. Mais pour pleins de raisons, notamment parce que la France n’avait plus créé l’environnement qui permettait à ces entreprises et à ces entrepreneurs d’innover, une partie d’entre eux, une partie de nos prix Nobel, est partie aux Etats-Unis. C’est pour cela qu’aujourd’hui, quand on regarde les grandes entreprises américaines du numérique, les patrons de l’intelligence artificielle sont quasiment tous français mais ne sont pas en France.
Et donc, si on recréait en France un environnement fiscal en matière de droit du travail, en matière aussi de message, eh bien on avait tous les atouts pour s’en sortir et c’est ce qui s’est passé.
Emmanuel Macron non seulement l’a dit aux entrepreneurs et aux entrepreneurs, « on croie en vous, on compte sur vous, vous êtes responsable d’une partie de l’avenir de ce pays » et en même temps, il y a un certain nombre de réformes pas toujours faciles à mener qui ont été menées pour faire en sorte d’aligner les preuves d’amour avec la Bourse.
Est ce qu’on est au bout de l’histoire ? Pas du tout. Il faut qu’on aille encore plus loin parce que nous voulons des entreprises qui seront les Google, Facebook, Amazon de demain.
Il y a encore beaucoup de choses à faire, mais en tout cas, on est sur le bon chemin.
Julie Huguet : Eh bien, ça tombe bien, c’est la dernière question que je voulais t’adresser. Quelles sont les next steps maintenant ? A quoi a-t-on envie de rêver pour la France ?
Cédric O : Ce que j’aimerais, c’est deux choses.
Tour d’abord, je pense qu’il ne faut pas se contenter de ce qu’on a. On a la capacité d’avoir des géants de l’innovation en Europe et en France et ça doit être l’objectif.
Une licorne, une entreprise qui vaut 1 milliard d’euros, c’est très bien. Il faut juste avoir en tête que Google, Facebook, Amazon, ça vaut 1 000 milliards d’euros. Donc, on veut demain viser ce qui vaut 20, 100 milliards d’euros. Non pas pour la beauté de la capitalisation financière, mais parce que c’est un indicateur de la création de valeur et donc de la création d’emplois. Ce gouvernement a fait de la création d’emplois et de la capacité à revigorer l’économie française l’alpha et l’oméga de ses politiques. Donc, c’est un moyen à destination de cette fin.
Et deuxièmement, ce que j’aimerais, c’est que nombre de ces futurs champions soient dans des secteurs qui offrent des solutions aux grands défis qui sont les nôtres.
Si on prend tous les défis sociétaux sur le climat, sur les inégalités, sur la question de l’alimentation, sur la question de la santé et du vieillissement de la population, on a besoin de beaucoup plus d’innovation. On a besoin d’offrir de nouvelles solutions. On a besoin que ces entreprises soient à la fois fournisseurs de solutions pour résoudre ces problèmes et en même temps créatrices de valeur économique. Et quand on voit des entreprises comme Doctolib, comme Ynsect qui fait des protéines animales, comme Alan, quand on voit toutes les entreprises qui sont notamment dans le domaine de la transition énergétique, des futures start-up du nucléaire, des entreprises dans l’hydrogène comme Lhyfe, dans les composants biosourcés, chimiques comme Afyren, ce sont potentiellement nos futurs champions, mais qui ne créent pas que de la valeur économique, qui créent aussi de la valeur environnementale, de la valeur sociétale, de la valeur sanitaire.
Et donc, j’ai ce double souhait qu’on puisse se réaffirmer comme une puissance économique dans le domaine technologique, mais également que ce soient des entreprises françaises qui participent de la réponse aux grands problèmes de notre temps.