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Le futur de l’éducation et de la formation avec Marie-Christine Levet
Interview de Marie-Christine Levet, co-fondatrice d’Educapital, 1er fonds européen de Edtech.
Julie Huguet : Marie-Christine Levet, tu as co-fondé Educapital, le 1er fond européen de Edtech. Quel a été ton constat, qui t’a amené à créer un fonds dédié à l’éducation et à la formation ?
Marie-Christine Levet : Cela fait longtemps que je suis dans le domaine de la tech. J’étais entrepreneure à l’origine. J’ai créé différentes sociétés : Lycos, Club-Internet. J’ai dirigé un groupe de médias. Et puis j’ai fait de l’investissement généraliste. Je travaillais avec Marc Simoncini et on investissait dans pleins de sociétés qui voulaient changer le monde. Je voyais des gens qui disruptaient la banque, l’assurance, le voyage. Et quand je rentrais chez moi le soir, j’écrivais à la main sur le cahier de correspondance de mes enfants que l’un ou l’autre n’allait pas être à l’école le lendemain. Je me suis dit que ce n’était pas possible. La société change totalement, et l’école n’a pas changé depuis ma génération, voir la génération de mes parents. Et j’avais donc l’idée que la technologie pouvait aussi apporter beaucoup de changements dans le secteur de l’éducation et de la formation, qui faisait face à de nombreux challenges. Le premier challenge, c’était le nombre insuffisant de professeurs pour éduquer toute la planète. Le deuxième challenge, c’est la génération Z. Aujourd’hui, elle passe plus de temps sur les écrans qu’à l’école et elle considère YouTube comme son premier moyen d’apprentissage. Je pense qu’on peut faire mieux. Et le troisième challenge, c’est le monde de l’entreprise et la relation au travail qui changent fondamentalement, le décalage entre les besoins des entreprises et les compétences des personnes qui sortent du système scolaire. Il y a cinq ans, créer le premier fonds d’investissement dédié au futur de l’éducation et au futur du monde du travail était aussi une envie personnelle d’avoir de l’impact, d’agir à mon niveau sur la société de demain.
Julie Huguet : Justement, tu parles d’impact. Quel est, d’après toi, le risque si on garde le système tel qu’il existe aujourd’hui ?
Marie-Christine Levet : Il y a un risque sociétal fort. Aujourd’hui, le système scolaire met de côté chaque année 100 000 enfants. Ces décrocheurs représentent des risques sociaux. Souvent, ces enfants vont avoir des problèmes une bonne partie de leur vie. Et d’un autre côté, on a un risque de perte de compétitivité pour les entreprises. Aujourd’hui, les entreprises doivent travailler différemment, innover plus rapidement. Elles doivent souvent former et reformer leurs collaborateurs. Il faut aujourd’hui des nouveaux outils, des nouvelles plateformes pour innover dans le secteur de la formation.
Julie Huguet : Sur le monde du travail, et notamment la formation continue dans les entreprises, qu’est ce qui, pour toi, est vraiment important ?
Marie-Christine Levet : Il y a quelques années, à ma génération, on était diplômé d’une école, on rentrait dans une entreprise, on faisait deux ou trois jobs dans une vie. Aujourd’hui, l’individu normal va faire entre huit et dix jobs dans une vie. Il va passer par des phases de formation, des phases d’auto-entrepreneuriat, des phases de salariat. Tout cela évolue très vite et il faut donc se former et se reformer tout au long de sa vie. Les compétences deviennent très vite obsolètes. D’où le fait d’avoir des nouvelles formations qui se créent à côté de l’école et qui permettent cette formation tout au long de sa vie. Par exemple, nous avons investi dans livementor. C’est vraiment l’école des indépendants et de l’entrepreneuriat. Ça permet à toute personne qui décide de se mettre à son compte de pouvoir suivre des formations pour savoir utiliser les réseaux sociaux, promouvoir son activité, faire un business plan, gérer ses finances personnelles et ses formations. Cette formation de trois mois en ligne avec un coach permet d’aider sur son projet personnel.
Aujourd’hui, il y a une énorme effervescence dans ce monde de la formation. Il y a eu le temps personnel de formation mis en place par le gouvernement en début d’année dernière : chacun a 500€ par an pour se former et choisir la formation qu’il désire. L’individu reprend en main sa formation.
Julie Huguet : Tu peux nous en dire un peu plus sur le fonds Educapital ? Où en es-tu aujourd’hui ?
Marie-Christine Levet : On investit dans des sociétés qui réinventent l’éducation et la formation de la petite enfance jusqu’à l’âge adulte. C’est un champ très large. Le fond a été créé en 2017, avec 47 millions d’euros. On a investi dans 20 sociétés en Europe. Nous sommes en train de créer le deuxième fonds, qui pourra à nouveau investir dans 20 sociétés et avec une ambition de levée de fonds de 100 millions.
Julie Huguet : Il y a un chiffre que j’aimerais que tu nous partages : 7% des projets financés par les fonds d’investissement au niveau des séries A qui sont fondés par des femmes.
Marie-Christine Levet : Nous, nous avons 35% de nos projets qui sont fondés ou co-fondé par des femmes. C’est peut-être aussi parce que nous sommes l’un des rares fonds d’investissement cofondé par deux femmes. Nous avons sûrement moins de biais en termes de présentation de projets, de posture. Il y a cependant un sujet fondamental : on ne reçoit pas encore assez de dossiers portés par des femmes. Moins de 20%. Il faut inciter les femmes à oser se lancer, à oser porter des projets ambitieux et ne pas avoir peur de faire comme les hommes.
Julie Huguet : C’est un beau message. Dernière question : si tu devais projeter le secteur de la formation dans trois ans, qu’est-ce que tu aimerais voir changer?
Marie-Christine Levet : Le télétravail va vraiment bouleverser le travail. Il y aura besoin de nouveaux outils pour former les collaborateurs, pour les toucher. On vient d’investir dans une société, Simundia, qui va démocratiser le coaching grâce au digital. C’est très important parce que cette relation de travail se distancie et il peut y avoir des problèmes à régler. Et aujourd’hui, le coaching était réservé au Top Management. La relation au travail change totalement et il va falloir l’appréhender de manière différente.
Mon plus grand rêve, c’est que l’école forme mieux aux compétences dont aura besoin au XXIᵉ siècle et c’est justement ces compétences qui sont aujourd’hui oubliées dans le système éducatif traditionnel : la créativité, l’esprit critique, l’analyse, la collaboration, le travail en groupe, etc. Il faut aussi transformer l’école pour créer des citoyens du XXIᵉ siècle.
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