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L’impact carbone des campagnes marketing avec Pierre Harand
Interview Pierre Harand par Julie Huguet
Julie Huguet : Aujourd’hui, je suis ravie d’être en compagnie de Pierre Harand, co-CEO de Fifty-five, une entreprise spécialisée dans la data marketing. Fifty-five vient de sortir une étude qui permet de mesurer l’impact des campagnes marketing.
Peux-tu nous en dire plus sur cette étude ?
Pierre Harand : C’est la première fois qu’une étude publique est lancée pour mesurer l’impact d’une campagne publicitaire en termes d’émissions de gaz à effet de serre.
Pourquoi a-t-on lancé cette étude ?
Nous-mêmes, nous nous sommes interrogés sur notre empreinte carbone. Et quand on a mesuré notre empreinte carbone, il y a différents scopes. On commence par regarder les émissions directes, le chauffage, l’alimentation électrique de nos de nos bâtiments, les allers-retours entre le domicile et travail, etc.
Et ensuite, il y a les émissions indirectes : les émissions des services que l’on vend. En tant que conseiller des grandes marques internationales sur leurs stratégies marketing et publicitaires, quels sont les effets de ces recommandations sur l’empreinte carbone ?
Et donc, si cette étude partait d’abord de notre souci de mesurer notre impact, on a ensuite réalisé que cette question de l’empreinte carbone d’une campagne publicitaire était totalement vierge : il n’y avait aucune étude publique sur le sujet. Et ça, c’est symptomatique du sujet. Je pense que de plus en plus d’entreprises ont le souci de réduire leur impact environnemental. Or on souffre d’un manque criant de données fiables et précises sur le sujet. On est un peu dans la situation de quelqu’un qui voudrait réduire son train de vie, mais qui, dans un supermarché, n’a pas l’étiquette de prix sur les articles. C’est extrêmement difficile.
Julie Huguet : Dans cette étude, tu expliques comment mesurer son impact. Est-ce que tu as quelques exemples ? Est-ce que tu pourrais nous en dire un peu plus sur les leviers pour s’améliorer ?
Pierre Harand : L’étude est d’abord partie d’un cas pratique, un cas fictif d’une campagne de publicité pour lancer un parfum. On a commencé d’abord par une campagne de publicité digitale, et on a essayé d’analyser tous les facteurs d’émissions tout au long de la campagne, de la création à la distribution, en passant par le ciblage pour voir où se cachaient les facteurs d’émissions.
L’étude est disponible en open source, avec tous nos tableaux de chiffres pour que les gens puissent se les approprier, voire les améliorer.
Et effectivement, on arrive à des conclusions très intéressantes.
La première conclusion, c’est que l’on peut diminuer de moitié l’empreinte carbone d’une campagne sans impacter son efficacité financière commerciale.
D’abord en pensant à la création : la production des bannières, des vidéos est du même ordre de grandeur en termes d’émissions de carbone que la distribution, la diffusion des campagnes.
Donc, il y a plein de bonnes pratiques à avoir. Réutiliser d’abord des créas existantes parce que la post-production est moins émettrice de CO2.
Et si vraiment on doit aller filmer, éviter des déplacements très loin, louer du matériel sur place : des facteurs d’émissions très significatifs.
Deuxième chose très intéressante, la mesure du CO2PM des différents canaux.
On a une mesure traditionnelle de la performance financière des campagnes publicitaires : le CPM. C’est le coût pour 1000.
Dans cette étude, on définit le CO2PM : l’équivalent des émissions en grammes de CO2 pour 1000 impressions publicitaires. Et quand on compare les différents canaux, on se rend compte que la vidéo en ligne est presque dix fois plus émettrice que les autres canaux.
Donc, la vidéo est un vrai facteur d’amélioration. Et sur la vidéo, c’est évidemment le format qui est déterminant mais aussi, le mode de diffusion : le Wi-Fi est beaucoup moins énergivore que la 5G. Et les annonceurs ont des moyens pour cibler les utilisateurs en utilisant le canal Wi-Fi.
Autre sujet intéressant : le ciblage. C’est un axe d’amélioration de la performance commerciale, financière et économique d’une campagne publicitaire, ça l’est aussi du point de vue environnemental et de l’empreinte carbone.
Cibler la bonne personne, ça permet d’éviter d’acheter des espaces publicitaires inutiles, mais en évitant les impressions inutiles, ça permet aussi largement de réduire l’empreinte carbone.
Julie Huguet : C’est super intéressant, donc on a hâte de lire cette étude.
Fifty-five est une entreprise très internationale. Est-ce que tu pourrais partager sur les nouveaux enjeux, les nouvelles règlementations qui pourrait impacter leur business, leur réglementation, leurs process ?
Pierre Harand : Fondamentalement, les phénomènes sont les mêmes. Ce qui est intéressant, c’est de voir effectivement les différences par régions, notamment les enjeux de réglementation de la vie privée et du niveau de la récolte de données.
Le premier novembre est entré en vigueur l’équivalent du RGPD en Chine. Le gouvernement chinois a décidé de reprendre le secteur technologique en main pour l’aligner avec son projet de société.
Comme nous, ils ont des enjeux de temps passé par les enfants devant les écrans. Ils ont institué cette réglementation de pas plus de 3 h sur les jeux mobiles par semaine pour les mineurs avec contrôle de reconnaissance faciale pour être sûr que les gens ne contournent pas la règle.
C’est un petit peu la même chose côté réglementation de la vie privée. Les textes sont publiés, ils sont très contraignants. Si ces textes sont pris au pied de la lettre, ça pourrait effectivement être un vrai bouleversement.
Suite à l’annonce de cette nouvelle réglementation, Linkedin a annoncé qu’il quittait le territoire chinois. Ce qui est en question, c’est la conformité des acteurs de la tech occidentaux avec la réglementation chinoise. S’il s’avère effectivement que la réglementation n’est pas compatible avec leur fonctionnement actuel, ils ont deux choix, soit s’adapter avec des partenariats locaux, ce qui est tout à fait possible, soit effectivement quitter le marché, ce qui imposera aux annonceurs, notamment aux marques exportatrices qui veulent adresser le marché domestique chinois, de se réorganiser et de trouver des alternatives locales.
Julie Huguet : Merci Pierre pour toutes ces informations hyper intéressantes.